Nous avons eu le plaisir d’accueillir Céline Righi le 25 octobre à la Maison Louis Guilloux. Une belle rencontre autour de ses deux romans Berline et Les choses de la nuit.
Notre invitée a écrit ces belles lignes à son retour. Si comme elle consent à l’écrire IL FAUT lire Le Sang noir, IL FAUT aussi lire Berline et Les choses de la nuit. La magie de ce bureau de l’écrivain qui demeure est de permettre ces rencontres, ces confrontations entre les textes, les livres et les idées.
« Lorsque je vivais à Rouen, j’ai souvent flâné au Musée Flaubert et d’Histoire de la médecine, maison natale du grand écrivain. J’y allais pour les curiosités, les écorchés et toutes ces choses prises dans le formol, mais aussi pour sentir sous mes pieds craquer le parquet de la chambre du Maître. Mes yeux faisaient l’inventaire : le lit, deux ou trois bustes, quelques manuscrits et, dans mon souvenir, ce pauvre Loulou, le perroquet de Félicité dans Un Cœur simple, œil morne et plumage vert, empaillé sous une cloche en verre. Tout ceci était bien émouvant.
Émouvant aussi, mon pèlerinage à Vianden, dans la demeure luxembourgeoise de Victor Hugo. Déambulation à travers les estampes, les feuillets, hampes et jambages, biffures et ratures, et ce parquet verni craquant sous les semelles, aussi, comme celui de la chambre de Flaubert.
Mais il va falloir à présent que je trouve les mots justes pour parler de cette « gifle globale » (décidément, Cripure et son sang noir me poursuivent) que j’ai reçue en pénétrant dans le bureau de Louis Guilloux. Mon expression, sur la photo, en dit déjà long et j’en profite pour remercier ici Philippe Antoine qui a eu la délicatesse de ne pas capturer d’images de ma pomme quelques secondes plus tôt : j’avais de l’eau plein les yeux et de la morve plein le nez. Hé, ça arrive à tout le monde, pas vrai ? De fabriquer des larmes et de faire des bulles avec ses narines quand on se fait empoigner par l’émotion. Mais passons. Sans que je puisse l’expliquer, une chose invisible m’a mise un instant sous hypnose. Et je n’en rajoute pas. Philippe et Gilbert, présents dans la pièce avec moi, pourront témoigner.
Car cet endroit est resté dans son jus, comme on dit, et l’âme de Guilloux y flotte toujours. Il faut voir ! Il faut voir ! Les livres, « par hautes couches crétacées » dirait Saint-John Perse, les pipes et les paquets de tabac gris, le placard secret où sommeillent écornés partitions et manuscrits, le portrait des amis – Camus et Malraux ; au mur : des marionnettes italiennes et au-dessus du lit à couverture épaisse, cette carte d’Europe, tavelée, fleuves et montagnes, façon Vidal-Lablache – vous vous souvenez ? Et surtout le bureau, son bureau, le fauteuil, son fauteuil : rares sont ceux, m’a-t-on dit, qui osent s’y asseoir. Moi, je n’aurais pas pu. J’aurais eu le sentiment de profaner du sacré. Et, attendrissant aussi, cet objet sous le bureau : une chaufferette. Car l’homme, lorsqu’il écrivait, avait froid aux pieds.
Je sors à présent de ce sanctuaire pour évoquer ces moments, revenus à mon esprit tandis que je rêvassais dans le train qui tanguait entre Saint-Brieuc et Strasbourg. Au restaurant : hommage à Baudelaire, Gilbert et moi déclamant À une passante, à l’unisson, heureux. Paul, sa mémoire pleine des phrases de Louis Guilloux, récitant, ému, des passages du Sang noir. Paul toujours, le lendemain, au cimetière Saint-Michel, sous un ciel bleu pur, « derrière l’odeur des fleurs mouillées », lisant quelques lignes du Premier homme de Camus, devant la tombe de Lucien Camus, le père, donc.
Et ce trait de soleil venu frapper les roses sur la tombe de Louis Guilloux… J’y ai déposé une bruyère en fleurs. (Le bouquet de houx vert était déjà là, dans ce cimetière, sous la forme d’un arbre magnifique au milieu d’autres arbres, mélancoliques avec leurs branches-moignons.)
Un immense MERCI à la Société des amis de Louis Guilloux. Vous savez pourquoi.
Ce que peut la littérature tout de même…
Je n’aime pas dire « il faut » mais tant pis, entorse ! IL FAUT lire Louis Guilloux, IL FAUT lire Le Sang noir. »